Dans le cadre d’une expatriation, les employeurs versent généralement une prime d’expatriation octroyée lors d’une mission à l’étranger et dont les conditions sont explicitées dans le contrat de travail international.
Dans le contexte de la crise liée à la Covid-19, des difficultés relatives au versement de la prime d’expatriation ont surgi. En effet, la « politique » de certaines entreprises a consisté à refuser de régler la prime d’expatriation lorsque le salarié qui en bénéficiait se retrouvait bloqué en France, et était dans l’impossibilité de rejoindre le lieu d’exécution de sa mission.
Cette « politique » est-elle juridiquement admissible ?
Objet et nature juridique de la prime d’expatriation.
Rappelons-le, le changement du lieu de travail du salarié peut emporter des conséquences importantes dans la vie de celui-ci, liées à la modification de son pouvoir d’achat, au paiement des impôts dans le pays d’accueil, au déménagement de toute la famille, etc. Ainsi, la prime d’expatriation a pour objet de compenser financièrement ces désagréments familiaux et personnels liés à une expatriation pour motif professionnel.
Cette prime revêt la qualification d’élément de salaire, lorsqu’elle est constante, payée en exécution d’un engagement de l’employeur et qu’elle est destinée à compenser les désagréments liés à l’éloignement. La prime fait partie intégrante de la rémunération globale du salarié.
Nous n’avons pas trouvé trace d’une position d’une juridiction française à ce sujet. Dans ces conditions, nous avons recensé quelques arguments majeurs :
Arguments en faveur du maintien de la prime.
Le salarié qui revendique le versement de sa prime d’expatriation pourrait mettre en avant la nature contractuelle de cette rémunération, ainsi que le maintien de ses engagements professionnels et personnels pendant son séjour en France.
En pareille hypothèse, il n’est pas inutile de souligner que, selon la législation française du travail, l’employeur ne peut pas modifier unilatéralement le contrat de travail. En effet, l’accord du salarié sera indispensable. Autrement dit, un refus ne pourrait pas lui être reproché au plan disciplinaire et conduire à son licenciement (sauf à ce que la procédure de modification soit engagée en raison d’un motif économique ou d’un accord de performance collective). Parallèlement, un passage en force de l’employeur pourrait constituer un manquement suffisamment grave au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation.
En outre, certains employeurs estiment que la prime d’expatriation n’a, dans ce cas, plus d’objet, ce qui justifierait la suspension de son versement. L’idée est la suivante : le salarié ne supporte plus les sujétions particulières de son emploi, donc il n’y a plus d’intérêt à verser la prime d’expatriation.
Or, le salarié, malgré son séjour en France, peut demeurer soumis à des contraintes, qui sont de deux ordres :
- professionnelles d’abord : elles seront relatives à l’exercice de la prestation de travail à l’étranger. Le salarié pourrait, par exemple, continuer de travailler selon le fuseau horaire de l’État de sa mission.
- personnelles ensuite : elles peuvent être relatives à la vie dans un autre pays, telles que le paiement des frais de scolarité, des loyers ou d’abonnements particuliers (etc.), dont il est difficile, voir impossible, pour le salarié de se délier.
Ces deux arguments, alternatifs, autorisent à considérer que la prime d’expatriation doit continuer à être versée au salarié qui est contraint pendant une durée limitée (même si cela peut durer depuis le début de l’épidémie de Covid-19) de rester en France.
Arguments allant à l’encontre du maintien de la prime.
Les employeurs qui refusent aux salariés bloqués en France le versement de la prime d’expatriation adoptent généralement un argumentaire qui tourne autour de deux idées principales :
En premier lieu, ces employeurs s’attachent aux dispositions du contrat de travail du salarié expatrié. Il est éventuel mais pas improbable que celui-ci envisage des hypothèses de suspension, telles que le retour temporaire en France. Plus généralement, le contrat peut prévoir que le versement de la prime est subordonné à la présence physique du salarié sur le territoire de l’État de mission. Cela revient en réalité à considérer que la prime d’expatriation n’a plus d’objet (voir la contradiction supra).
Force est donc de relever que les conditions d’octroi de la prime, définies contractuellement, peuvent ne plus être remplies ; justifiant par la même à suspendre son versement.
En deuxième lieu, il est argué de l’existence d’un cas de force majeure. La force majeure se définit comme un évènement imprévisible, irrésistible et extérieur, qui permettrait à l’employeur de se soustraire de son obligation de payer la prime.
Cet argument peut s’avérer périlleux d’autant qu’il est très peu admis par les juges en matière de droit du travail. Il est donc difficile de raisonner par analogie avec certaines décisions de Cour d’appel qui ont pu reconnaître la force majeure (exemple : CA Paris, pôle 1 – ch. 2, 28 juillet 2020, n° 20/06689 ; CA Douai, 23 avr. 2020, n° 20/00632 en matière de transport aérien). Pourtant, les conséquences engendrées par la crise sanitaire, qui de plus varient d’un pays à l’autre, avec des décisions de fermeture difficilement prévisibles pourraient militer en ce sens. Il ne peut donc être exclu que la force majeure soit reconnue, mais dans des cas très limités.
Conclusion
En réalité, la première réponse est d’avoir une lecture attentive des clauses du contrat de travail. Dans un deuxième temps, la prudence recommandera toujours de solliciter le consentement du salarié pour effectuer une telle modification.
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